L’invitée du mois de Décembre : Thierry Artières

Responsable du Master Intelligence Artificielle et Apprentissage Automatique des universités de Luminy et Marseille Saint-Charles

Thierry Artières

En quoi l‘intelligence artificielle impact les métiers ? Réponse avec Thierry Artières, responsable du Master Intelligence Artificielle et Apprentissage Automatique des universités de Luminy et Marseille Saint-Charles

Les succès récents et très médiatisés de l’Intelligence Artificielle (IA) génèrent naturellement de nombreuses inquiétudes sur l’impact de ces technologies sur le futur marché de l’emploi et le devenir de nombreux métiers. Ces inquiétudes sont bien sur légitimes, mais sont sans doute amplifiées par le côté magique voire fantasmé de l’Intelligence Artificielle. Même s’il reste difficile de prédire l’impact de la diffusion de ces technologies dans notre vie de tous les jours on peut avancer quelques éléments d’appréciation.  

Tout d’abord il ne faut pas surestimer les capacités des technologies actuelles. Les succès récents qui font la une des journaux ces dix dernières années sont dus en très grande majorité à ce que l’on nomme l’apprentissage automatique et l’apprentissage profond, des sous domaines de l’Intelligence Artificielle. Mais tous ces succès relèvent de l’IA dite faible, par opposition à l’IA forte. On est capable aujourd’hui de concevoir des systèmes pour reconnaitre un individu sur une image, transcrire un signal audio, traduire un texte dans de multiples langues, ce sont des progrès fantastiques. Mais chacune de ces tâches est réalisée par un système dédié et la connaissance intégrée par chacun de ces systèmes peut difficilement être réutilisée pour concevoir un nouveau système capable de résoudre une nouvelle tâche. On est loin d’une machine globalement intelligente, d’un logiciel capable de raisonner, de s’adapter, d’apprendre, d’organiser ses connaissances, de résoudre de nouvelles tâches. On est encore loin de l’IA forte et encore moins de remplacer l’homme pensant par des machines. Pouvoir un jour faire cela relève aujourd’hui du mythe.   

 

Pour autant, les progrès technologiques permis par l’IA d’aujourd’hui peuvent radicalement changer notre société en diffusant rapidement et en transformant des domaines tels que la santé, les transports, la finance, la sécurité, l’éducation… tout comme le numérique ou Internet ont profondément modifié notre société et de nombreux métiers. On parle de quatrième révolution industrielle. L’impact de l’IA sur les futurs métiers a été l’objet de multiples études aux conclusions variables. Certains métiers disparaitront probablement. Mais plutôt que de disparaitre de très nombreux métiers vont être transformés dans des proportions qui dépendent de la fraction des tâches requises qui sont automatisables par des techniques d’IA. Certaines études ont ainsi cherché à évaluer la part d’automatisation par métier, un métier automatisable à 100% étant voué à disparaitre. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer ce pourcentage d’automatisation des tâches est assez peu lié au niveau de revenus. Et si la transformation des métiers s’annonce globale, car rares sont les métiers ne pouvant être au moins partiellement automatisés, elle ne s’accompagnera sans doute pas d’une disparition massive de nombreux métiers car peu sont totalement automatisables.      

 

Une autre facette du sujet concerne la création d’emplois liés à l’IA ou à l’utilisation de l’IA. On peut distinguer les métiers de spécialistes de l’IA, qui vont chercher à repousser les limites de l’IA d’aujourd’hui. La demande de spécialistes en IA est en forte croissance aujourd’hui et sans doute pour bon nombre d’années encore, essentiellement chez les grands acteurs de la société de l’information, avec un risque potentiel de monopole futur de ces grands groupes sur l’automatisation de certaines tâches ou métiers sensibles liés à la sécurité ou la santé par exemple. Parallèlement le développement et la diffusion d’outils d’IA performants induisent dès aujourd’hui l’apparition de nouveaux métiers, de nouveaux services, un phénomène qui contrebalance la disparition ou l’automatisation partielle de métiers d’aujourd’hui mais dont l’ampleur est encore difficilement prédictible car tout reste ici à inventer.